L’histoire se déroule dans une cité de Pontoise, en banlieue parisienne. Les trois témoins habitent au numéro 11 d’un des immeubles, appelé "La Justice Mauve". Jacques Vallée les présente ainsi :
Franck Fontaine, dix-neuf ans, grand et mince avec des cheveux bruns qu’il portait longs ; Salomon N’Diaye El Mama, un Sénégalais de vingt-cinq ans, peu loquace mais très réceptif à ce qui se passait autour de lui ; Jean-Pierre Prévost, vingt-six ans, musclé, court de stature, portant la barbe, l’intellectuel du groupe.
Le lundi 26 novembre 1979, à 4 heures du matin, ils commencent à charger une fourgonnette rouge et une vieille Ford Taunus avec des jeans et des pull-overs qu’ils vont vendre au marché de Gisors. Soudain, Franck aperçoit dans le ciel un objet lumineux, "plus gros que la pleine lune, allongé et blanc", qui descend derrière un autre immeuble. Franck décide d’aller y voir de plus près. Salomon remonte dans son appartement chercher sa caméra tandis que Jean-Pierre va chez lui prendre le reste du chargement de vêtements. Il jette un oeil par la fenêtre et aperçoit au loin la Taunus arrêtée au milieu de la route. Il referme la fenêtre et retrouve Salomon sur le parking. Il est très agité. Il a vu une grosse sphère de brouillard envelopper la voiture. Les deux amis font le tour du bâtiment en courant :
La voiture se trouvait maintenant sur le côté droit de la route, les feux de position allumés. Elle était entourée d’une grosse boule de brouillard blanchâtre autour de laquelle se déplaçaient trois ou quatre sphères plus petites. Ces petites sphères pénétrèrent dans la plus grande qui fut elle-même absorbée dans un cylindre qui s’envola à très grande vitesse.
Le phénomène laisse pantois les deux amis. Lorsqu’ils s’approchent de la voiture, leur ami Franck a disparu. Ils le cherchent en vain et préviennent la police.
La police, bien que sceptique, transmet le dossier à la gendarmerie qui interroge les deux témoins. Par les Renseignements généraux, les gendarmes apprennent que Jean-Pierre Prévost est fiché comme anarchiste. Les enquêteurs pensent à un canular qui permettrait à Franck d’échapper au service militaire. Ils interrogent de nouveau les deux témoins les jours suivants. Franck n’a toujours pas reparu. Mais l’affaire fait déjà la une de l’actualité. Tous les bulletins d’information relatent l’enlèvement.
La police de l’air et des frontières ainsi que les douanes avaient été alertées ; les services de sécurité des gares et aéroports étaient à l’affût.
Salomon et Prévost étaient maintenant sous surveillance vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Leur appartement fut fouillé pour vérifier que Franck ne s’y cachait pas. Pendant la journée, un policier en civil les accompagnait, sous prétexte de les protéger contre le harcèlement abusif des médias. En réalité, il était sans doute là pour écouter les conversations et assister à tous les interviews.
Les enquêteurs envisagent ensuite que Salomon et Prévost ont tué Franck et ont fait disparaître le cadavre, puis ils abandonnent cette piste sans fondements et confient le dossier au commandant Cochereau, chargé des phénomènes inhabituels, lequel ne croit pas en l’hypothèse d’un enlèvement par un OVNI car la victime a très bien pu disparaître "à pied ou en auto-stop". Pendant ce temps, la presse se déchaîne. Des ufologues (chercheurs en OVNI, "UFO" en anglais) assaillent les témoins pour qu’ils apportent de l’eau à leur moulin.
Et le lundi 3 décembre 1979, à 4 h 20 du matin, Franck réapparaît. Le voilà qui sonne à la porte de Salomon et, le voyant en pyjamas, se demande pourquoi il est retourné se coucher. Il demande où se trouve la fourgonnette. Salomon, très ému, révèle à son ami qu’une semaine s’est écoulée. Puis il court chercher Prévost. Les deux amis montrent à Franck toutes les coupures de presse qui parlent de lui.
Franck rassemble ses souvenirs :
Comme devaient le rapporter plus tard tous les journaux, de Moscou à Brasilia, il avait en vain cherché l’appareil aérien lumineux en sortant du parking. Il poursuivait donc sa route quand il remarqua un objet lumineux, de la taille d’une balle de tennis, flottant au-dessus d’un champ de choux. Pris de panique, il laissa la voiture se déporter vers la gauche. Quand il arriva au niveau de la boule, le moteur s’arrêta et il lui fut évidemment impossible de le remettre en marche. La sphère lumineuse vint se poser sur le capot de la voiture et Franck se trouva englouti dans une sorte de brouillard. Il ne pouvait plus voir la route ni le paysage… il ne pouvait même pas ouvrir les portières. Ses yeux lui piquaient, ses paupières devinrent lourdes et il sombra dans un sommeil profond. Il s’était réveillé dans le même champ de choux, ne sachant pas que toute une semaine s’était écoulée.
Les enquêteurs, qui étaient la risée de la presse, procédèrent à une reconstitution. Ils recueillirent des échantillons de sang et d’urine de Franck. Un psychiatre trouva Franck normal. Les trois jeunes gens furent remis à un juge d’instruction, qui ne retint aucune charge contre eux.
Le groupe officiel pour l’étude des OVNI, le GEPAN, mena son enquête. Des réunions eurent lieu avec les trois amis. Salomon avait été impressionné par des expériences d’hypnose menées par des ufologues. La suggestion hypnotique jetait un doute sérieux sur les "souvenirs" qu’on pouvait obtenir par ce biais. Prévost, lui, se montra méfiant. Il assimilait le GEPAN à la gendarmerie et révéla que les journalistes américains du National Enquirer avaient essayé de soudoyer les témoins en leur offrant mille dollars à chacun. Franck, de son côté, déclara qu’il se souvenait de certaines choses "dans sa tête". Il avait revécu en rêve des moments de son expérience :
Il mentionna des êtres qu’il désignait par "ils" ou "quelqu’un", et qui avaient communiqué non verbalement avec lui.
Franck avait le sentiment que ces êtres savaient tout et pouvaient voir à travers les murs. Là où il était allé, "il n’y avait ni temps ni limites". [...] Ce qu’il avait vécu était comme un rêve, ni plaisant ni déplaisant. Il était un simple observateur et n’éprouvait aucune crainte.
Les relations entre les témoins et le GEPAN se dégradèrent ensuite et le groupement lança son enquête dans une seconde étape qui les conduisit vers deux témoins, Rémi et Lisette. Rémi rentrait de province le fameux lundi à 4 h 25. Il ne vit dans le ciel aucun phénomène anormal, en revanche, il aperçut la fourgonnette et deux personnes qui montèrent dedans. Deux et non pas une. Lisette, une jeune fille de quatorze ans, s’était levée à 4 heures du matin pour aller aux toilettes. Victime d’insomnies, elle s’était mise à la fenêtre et passa dix à quinze minutes à observer tout un déploiement de lumières au niveau des pylônes et des câbles électriques. La description de Lisette faisait penser à des décharges de plasma en couronne le long des câbles électriques. Une enquête fut menée à la station électrique voisine où l’on ne signala aucune anomalie ce soir-là... Des arcs électriques se produisent couramment pendant les orages ou des périodes de forte humidité. Mais rien de tel cette nuit-là. Pas non plus d’activité aérienne dans le voisinage.
L’analyse du sang de Franck se révéla normale, notamment le taux de cortisone qui se modifie chez les personnes qui voyagent en avion et subissent le décalage horaire. On ne fit pas d’analyse pour déceler la présence de drogues. Le GEPAN considéra que les témoignages des trois jeunes gens avait été dénaturés par les discours et les interventions des ufologues qui les avaient assaillis dès l’annonce des événements. Il conclut à une plaisanterie.
Un groupe d’ufologues, l’IMSA, enquêta parallèlement. Il se trouve que lors d’un précédent enlèvement, la victime avait révélé sous hypnose qu’un nouvel événement se produirait… le 26 novembre 1979 ! L’IMSA ne croyait pas à la thèse du canular. Les trois jeunes gens étaient en réalité des loubards en délicatesse avec la police et l’administration. Ils n’avaient pas intérêt à attirer l’attention sur eux. Quant à Franck, il ne s’intéressait pas au problème des OVNI. Il n’avait jamais lu un livre en entier. Il était l’aîné de quatre enfants et venait d’avoir un fils. Aux enquêteurs de l’IMSA, il précisa qu’il avait été guidé par télépathie jusqu’à l’endroit où la voiture avait été enveloppée dans le brouillard.
Ensuite, il avait eu l’impression que le véhicule glissait tout seul pendant qu’il sombrait dans le sommeil.
L’ami de Franck, Jean-Pierre Prévost, se prêta à une séance d’hypnose :
Prévost se souvint alors d’avoir vu la voiture conduite par Franck, entourée par une sphère lumineuse. Il avait entendu des voix. Elles donnaient des ordres : « On a besoin de lui, il faut l’emmener, sans lui faire de mal... Vite, il y a des gens [Prévost et Salomon] qui viennent... ». [...] La voix était celle d’une femme qui parlait français.
Franck, lui, continua de refuser de parler sous hypnose, craignant que son récit ne le fasse un peu plus passer pour un fou...
Au début de l’année 1980, les trois amis allèrent dans le sud rejoindre les enquêteurs de l’IMSA, lesquels purent constater un changement dans le rythme du sommeil de Franck. Salomon et Prévost prétendaient avoir reçu la visite de "trois hommes bâtis comme des armoires à glace qui leur avaient interdit de parler de leurs expériences". Puis Franck raconta de nouveaux éléments qui lui étaient revenus en mémoire :
Bientôt, il s’était trouvé couché sur une surface plate, sur une machine placée dans une sorte de laboratoire. Cette surface était confortable et il était libre de ses mouvements. Tout le long des murs se trouvaient de grands placards avec des lumières clignotantes et des cadrans au-dessus desquels il distinguait des caractères qu’il ne pouvait pas lire. [...] De petites sphères, de la taille d’une balle de tennis flottaient au-dessus de lui. Des voix lui parlaient, des voix mélodieuses qui semblaient provenir de ces sphères. Elles parlaient de la survie de l’humanité et lui donnèrent la date du contact officiel qui aurait lieu entre eux et la Terre. A aucun moment, il n’avait vu d’être vivant.
Les enquêteurs de l’IMSA comprirent que le véritable "contact" des extraterrestres était en réalité Prévost, qui révéla sous hypnose qu’il avait été contacté pendant l’absence de Franck par une entité, Haurrio, un grand jeune homme aux longs cheveux blonds et au regard asiatique, qui lui avait demandé de créer un groupe d’adeptes avec pour mission de faire comprendre à l’homme qu’il détruisait sa vie. Ceux qui aideraient les extraterrestres seraient épargnés de la catastrophe finale et fonderaient une nouvelle civilisation.
La vie de Franck et de Prévost connut par la suite quelques perturbations (agressions, apparitions mystérieuses,... ). Prévost publia un livre : "Le Grand Contact". Mais le jour annoncé pour ce grand contact, le 15 août 1980, rien ne se produisit sur le champ de choux de Cergy-Pontoise. La foule et la presse rentrèrent bredouilles. La thèse du canular reprit des forces...
Aux Etats-Unis, la presse se passionnait pour ces événements. Cependant un journaliste américain, Kevin Cape, laissa entendre que toute l’histoire avait été montée pour détourner l’attention des médias de l’acceptation illégale par le président Giscard d’Estaing de diamants offerts par un dictateur africain. A l’époque, ce scandale occupait les journaux français.
En 1983, Prévost rassembla quelques adeptes en Bretagne, mais sans activité significative. Le 15 août 1983 (date anniversaire du prétendu contact) une foule se rassembla de nouveau à Pontoise, mais en vain. Puis Prévost finit par avouer que tout cela n’avait été qu’une plaisanterie (sans en préciser la raison) et tout rentra dans l’ordre...
Les ufologues furent naturellement gênés par les aveux de Prévost. Mais les enquêteurs de l’IMSA les récusèrent. D’autres "enlevés" avaient eux aussi parlé de l’entité Haurrio.
Le cas de la Justice Mauve fournit une occasion magnifique de voir le mythe extraterrestre en action, à différents niveaux de la société : chacun y trouva ce qu’il attendait, en fonction de ses propres préjugés, avec ses propres moyens et ses qualités spécifiques.
La police vit dans les trois jeunes gens des petits loubards marginaux. Le GEPAN, assimilé à la police par les témoins, conclut à un canular et les ufologues, qui avaient eu connaissance le 5 novembre 1975 du premier cas de disparition après une observation d’OVNI, firent leur miel de ce cas français. Comme dans l’exemple américain, Franck avait disparu au milieu de ses amis et était réapparu au même endroit quelque temps plus tard avec perte de souvenirs.
Franck ne voulut plus parler de cette affaire, dégoûté par l’attitude de la police, des scientifiques et des médias. Beaucoup de bruit pour rien ? Jacques Vallée ne le pense pas :
Je ne crois pas que [Franck] Fontaine ait été enlevé par des extraterrestres. Mais je ne crois pas non plus qu’il ait menti. La disparition de Franck Fontaine est l’un des épisodes les plus troublants de toute l’histoire des OVNI. Mais ce n’est sûrement pas un canular.
Jacques Vallée arrive à cette conclusion après avoir repris l’enquête. Il connaît bien Pontoise puisqu’il y est né. Son père était juge d’instruction à Cergy. Ce qui le trouble, c’est personne ne peut dire où était Franck pendant sa disparition, ni pourquoi des jeunes gens qui vivaient en marge de la société ont appelé la police... Interrogé, Prévost n’avance aucune hypothèse sur le lieu où son ami a passé la semaine "d’enlèvement". Ni lui ni personne. Franck lui-même, que l’auteur a rencontré en 1989, l’ignore également...
Autre fait troublant, quand la police est venue sur les lieux, elle a constaté que la voiture était effectivement enveloppée dans un épais brouillard, fait qui n’est mentionné dans aucun rapport officiel.
Serait-il possible que Franck ait bien été enlevé, mais par des hommes tout à fait humains ? C’est l’hypothèse de Jacques Vallée. Rémi, le témoin qui a vu Franck monter dans sa fourgonnette avec une autre personne prétend qu’il était malade le lundi suivant, quand Franck est réapparu. Maladie diplomatique ? Il dit ne pas vouloir d’ennuis avec ces gens-là. De qui parle-t-il ? Autre élément mystérieux, un fil de téléphone dans le tapis reliait l’appartement de Prévost à celui de Salomon, qui était contigu. Quand les journalistes ou les enquêteurs interrogeaient Prévost, il disparaissait parfois dans sa chambre et revenait avec la réponse...
Jacques Vallée échafaude alors son scénario : quelqu’un appartenant aux services gouvernementaux veut réaliser un test de manipulation psychologique en prenant modèle sur le cas américain de 1975 et choisit pour cela de jeunes marginaux d’une cité de banlieue, des loubards sans grande crédibilité. Puis ce quelqu’un met en scène l’enlèvement. L’auteur sait qu’un homme est venu trois samedis de suite à 23 heures rendre visite à Franck avant son enlèvement, et qu’il l’a emmené dans un café à bord d’une BMW. Il sait aussi qu’un des enquêteurs de l’IMSA, l’hypnotiseur, est venu à Pontoise avant l’événement. Jacques Vallée est convaincu que l’opération a été menée par des organisations à l’intérieur même des services militaires français.
En 1980, un collaborateur de Jacques Vallée rencontre un certain M. D. travaillant au STET (Service Technique des engins tactiques) qui lui révèle que l’affaire de Pontoise est « un exercice de synthèse générale » décidée par de hautes personnalités proches d’un ancien ministre. L’homme précise que Franck Fontaine a été enlevé par son service, puis endormi et maintenu dans un état de haute suggestibilité. Bien sûr, ni la police ni la gendarmerie ne devaient être au courant de l’opération pour que le test fonctionne. Un des objectifs semblant être de tester les réactions des forces de l’ordre face à de tels événements. Il semblerait qu’une seconde phase de l’opération était prévue mais que quelqu’un l’a fait avorter.
Le M. D. en question a dit à son interlocuteur que s’il publiait ses confidences, il nierait, naturellement. Rien ne permet d’affirmer que M. D. a dit la vérité. Cependant, on peut imaginer que le brouillard a été créé artificiellement pour permettre à un petit commando d’embarquer Franck. Ce brouillard aurait pu contenir un produit qui aurait provoqué le sommeil de Franck. L’auteur a découvert un petit passage sous la route qui aurait été idéal pour emmener Franck sur l’autoroute Paris-Rouen.
Il existe de nombreuses drogues dans la pharmacopée moderne qui exacerbent la suggestibilité, induisent une amnésie sélective et qui peuvent même effacer une période de la vie de quelqu’un pour la remplacer par une réalité artificielle construite de toutes pièces. [...] Tous les événements qui sont arrivés à Franck Fontaine entrent tout à fait dans les limites actuelles de cette technologie.
Prévost n’a pas pu créer et développer la secte que les responsables souhaitaient sans doute utiliser comme laboratoire sociologique. Quant à Franck, il continua à répéter que tout s’était exactement passé comme il l’avait dit. Mais il est convaincu que lui et ses amis avaient été choisis depuis longtemps.
Il [Franck] est certain de n’avoir jamais été en contact avec des humanoïdes pendant la semaine de sa disparition et il considère le dialogue avec Haurrio comme une pure fabrication de la part de Prévost [...]. Quoi qu’il en soit, l’affaire tout entière reste pour lui un mystère.
Cette histoire [1] montre que le phénomène OVNI (et surtout la crédulité des gens) pose de tels problèmes aux gouvernements qu’ils sont tentés de le contrôler et de tester les réactions des différents acteurs sociaux face à ces événements. Le principe est toujours de provoquer de faux événements OVNI puis de les discréditer quelque temps plus tard, ce qui ruine la crédibilité de tous les phénomènes. Aux États-Unis, les OVNI constituent un véritable business pour certaines sectes. Leurs dirigeants doivent entretenir le mystère.
Malheureusement, il est impossible de montrer que le phénomène est une pure supercherie, car les observations sont trop nombreuses, trop précises et trop similaires.
Le scénario D.S.R. n’a repris que quelques éléments de l’affaire de Pontoise. Le personnage de Marc aurait pu représenter le Franck Fontaine de la véritable histoire. Mais l’écriture m’a orienté dans une autre direction. Le scénario a été écrit en novembre 1995, quelques semaines avant la grande grève de décembre...